Clio’s back ! Les lecteurs lui pardonneront, j’espère, sa longue absence, pendant laquelle Fée Clio s’est mariée, s’est remise de son mariage, et s’est préparé à mener une vie exemplaire d’épouse. Et l’exemple commence par une promesse : celle de se plier à une discipline de fer pour écrire régulièrement dans Fées en ville! En bref, quand vous êtes en vacances, Clio ne l’est plus.
Les vacances, c’est bien, c’est sympathique. Pour prendre le contre-pied, je voudrais parler de quelqu'un qui s'est vu
imposer des vacances, quelqu'un qui est allé sur une île paradisiaque, bordée de plages chatoyantes, couverte d’arbousiers ployant sous leurs fruits et de forêts ombrageuses où courent d’étranges et jolis animaux exotiques, et en plus il n’était pas content !
Non, je ne parle pas de Jack Shephard et des autres naufragés de
Lost, ni des sérieux héros de
L’Île mystérieuse, ni de Gulliver, ni même de Robinson Crusoë, mais de leur maître à tous, le bien réel Alexander Selkirk (1676-1721), dont l’abandon sur l’île Juan-Fernandez, au large de Valparaiso, fut un des faits divers les plus féconds pour le roman et la pensée modernes.
Selkirk était un marin écossais, au tempérament sauvage, dont on aimerait bien faire l’égal du canadien Ned Land de
Vingt mille lieues sous les mers – tant l’histoire de Selkirk a été après coup imprégnée de littérature, qu’on a du mal à raconter sa vie sans avoir la tête farcie de nos lectures d’enfance ! Fils d’un cordonnier de Lower Largo, engagé très jeune dans la marine, comme bien d’autres garnements de la région côtière des Fife, il s’est rapidement fait connaître pour sa grande capacité à se mettre en colère, en particulier contre ses supérieurs. Il participait à une expédition corsaire contre des navires espagnols au large du Chili, lorsque le navire dut s’arrêter sur une île inconnue pour réparer les dégâts causés par des vers rongeurs. Le mécontentement qui couvait en Selkirk – lequel avait déjà tenté de provoquer des mutineries au cours du voyage – éclata à ce moment. Les choses tournant mal, il exigea d’être laissé sur l’île. Bravade ? Inconscience ? Habileté d’un homme qui pouvait craindre d’être jeté aux fers pour rébellion ? Quoi qu’il en soit, le navire partit et Alexander Selkirk resta.
Il fit bien d’ailleurs. Comme il l’avait imaginé, le bâtiment ne résista pas aux vers et sombra peu après, entraînant la mort d’une partie de l’équipage.
Je ne m’étendrai pas sur la vie de l’abandonné sur l’île – Edward Cooke, Richard Steel, Daniel Defoe l’ont décrite abondamment. Juste une chose : il n’y avait nul Vendredi pour adoucir sa solitude ou lui enseigner « la vie sauvage ». Selkirk vécut totalement seul pendant plus de quatre ans, élevant des chèvres, plantant des pruniers, lisant et relisant la Bible qu’on lui avait laissée. Et lorsqu’il fut rapatrié, à l’instar du héros de
L’île du Docteur Moreau, il ne réussit pas à retrouver la place naturelle de l’homme en société, malgré la richesse qu’il avait acquise par des expéditions fructueuses. Il reprit la mer et mourut de la fièvre. Peut-être ses derniers instants furent-ils hantés par ce moment terrible et fascinant où Selkirk se retrouva face à lui-même sur une île où rien n’était fait pour l’homme…
« Je commençai à regarder à l’entour de moi, pour voir en quelle sorte de lieu j’étais, et ce que j’avais à faire. Je sentis bientôt mon contentement diminuer, et qu’en un mot ma délivrance était affreuse, car j’étais trempé et n’avais pas de vêtements pour me changer, ni rien à manger ou à boire pour me réconforter. Je n’avais non plus d’autre perspective que celle de mourir de faim ou d’être dévoré par les bêtes féroces… Aussi tombai-je dans une si terrible désolation d’esprit, que pendant quelque temps je courus ça et là comme un insensé… »