mercredi 16 juillet 2008

Aimé Césaire… et les îles

Les îles ne se résument malheureusement- ou devrais-je dire heureusement- pas à un lieu idyllique où les femmes errent seins nus en chantant et où les hommes dorment après quelques verres de rhum. Elles n’offrent pas toutes non plus des paysages paradisiaques où des cascades types pubs « Ushuaia » se mêlent aux palmiers. Aimé Césaire, dont la mort cette année nous a touchée, aurait pu en témoigner. Le poète martiniquais s’est battu toute sa vie contre ces clichés liés aux îles, certes doux et attirants pour les blancs mais toujours avilissants et réducteurs pour les noirs. En inventant le concept de Négritude, il lutte pour tous ceux qu’il appelle « les opprimés de la planète» et particulièrement ceux de son pays, les colonisés de la belle île de la Martinique. En 1950, dans son Discours sur le colonialisme, il écrit : « La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte. Cela revient à dire que l’essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l’innocente question initiale : qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes. » Sous couvert de bons sentiments, l’île se fait terrain de jeux et d’expérimentation. Les îles deviennent des territoires que les hommes veulent coloniser, sujettes aux crimes du colonialisme occidental. D’ailleurs, l’île dans la littérature prend rarement les traits d’un paradis. Même seul, Robinson commence par « civiliser » la nature, occidentaliser les contours de l’île, rationaliser le temps… et « éduquer » le pauvre Vendredi sans chercher à le comprendre. Civilisation ou barbarie ? L’île souffre de ce préjugé de torpeur et de mollesse, de territoire à l’abandon qui demande à être civilisé. Elle reste le fantasme d’un endroit à sauver grâce à ses propres codes. L’œuvre entière d’Aimé Césaire reste au service de la liberté et de l'égalité, elle mélange poésie et engagement, fougue et violence en même temps que beauté et jeux de langue. Elle rappelle que la poésie est une « arme miraculeuse ». Aimé Césaire, Les Armes miraculeuses, Poésie/Gallimard. Discours sur le colonialisme, Présence Africaine.
Fée Carabine

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