vendredi 16 janvier 2009

Le tsar ressuscité



Un soir de novembre 1825, le tsar Alexandre Ier s’éteint à 47 ans, dans une bourgade bien éloignée de Saint-Pétersbourg. Son corps, veillé par sa femme, l’impératrice Élisabeth, est immédiatement autopsié et embaumé avant d’être acheminé vers la capitale.

En 1836, un drôle de personnage apparaît en Sibérie, qui prétend s’appeler Fiodor Kouzmitch. Mais il ne possède ni « passeport intérieur » ni aucun objet personnel. De même, il reste obstinément muet sur son passé – malgré les interrogatoires musclés de la police de Perm. Déporté en Sibérie occidentale pour travailler dans une distillerie d’État, ce vieillard se fait rapidement connaître comme un saint homme, un « starets », sorte de moine-ermite illuminé envoyé par Dieu pour servir de guide spirituel à la population. C’est que ce Kouzmitch n’est pas banal : loin de l’image traditionnelle du moine simple et frustre, l’homme est beau, grand, bien découplé, exceptionnellement instruit et au fait des mœurs de la cour impériale. Il va vivre plusieurs années au milieu des pauvres, dans le plus grand dénuement, enseignant les Écritures aux enfants et aidant les paysans par de judicieux conseils d’agriculture et d’hygiène. Il n’en faut pas plus pour qu’on parle de lui comme d’un noble retiré. Les rumeurs enflent à mesure que grandit la célébrité de Kouzmitch, dont la réputation de sainteté séduit un négociant de Tomsk qui lui offre une petite maison, où il peut vivre en paix dans la prière et la méditation. Peu à peu, des pèlerins affluent vers le « starets » : des hommes simples, mais aussi d’éminents prélats ou des officiers. La dignité de son maintien, la noblesse de son esprit et sa grande culture ne sont pas étrangers à un tel succès. À sa vue, un soldat s’écrie : « C’est notre tsar ! Notre père Alexandre Pavlovitch ! » Ce à quoi Kouzmitch lui répond aussitôt : « Je ne suis qu’un vagabond. Tais-toi. Sinon, tu risques d’aller en prison. »

Jusqu’à sa mort, en 1864, il refusera de révéler le mystère de sa naissance. À ce moment-là, pour beaucoup, le starets Kouzmitch n’est autre que le tsar Alexandre, qui aurait organisé de fausses obsèques pour mieux abandonner le pouvoir et se retirer du monde incognito, comme il en avait maintes fois émis le désir. On rapporte des miracles étonnants ; on fait des rapprochements entre les deux hommes – notamment quelques signes physiques qu’ils ont en commun ; on interprète les incohérences, certes troublantes, qui ont entouré la mort du tsar. En 1921, le gouvernement soviétique aurait ouvert le cercueil d’Alexandre, qui serait… vide, bien entendu ! Ce que n’a corroboré aucune confirmation officielle.

Peu importe, l’imagination populaire a fait sienne cette histoire de « résurrection » d’un tsar. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’un cercueil est vide ou que le mort n’est pas celui qui doit l’être – pensons à Napoléon. Et il faut bien qu’Alexandre Ier ait trouvé un moyen romantique d’expier l’assassinat de son père Paul, et d’apaiser ainsi le plus brûlant des remords…

Lire le classique Alexandre Ier de Henri Troyat (Flammarion)
ou la biographie très exhaustive que Marie-Pierre Rey consacre au tsar, chez Flammarion également, qui sort ce mois-ci en librairie.


Étoile Clio

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Passionnant! Ca donne bien envie de creuser la question avec les ouvrages que tu proposes...
LOL j'ai bien confondu Alexandre avec Nicolas II, mais grâce à toi, le mal est réparé!
Merci Clio