- Oui, tout à fait! s'exclame l'amie en question, à demi affalée sur la banquette du restaurant, tandis que le serveur apporte d'énormes assiettes où se côtoient en un savant enchevêtrement verrine de saumon à la chantilly de wasabi, parmentier de canard, velouté de pois au foie gras, pastilla de pintade.
- Donc, poursuit Etoile Clio (en pensant qu'il lui resterait sans doute assez de place pour une mousse au deux chocolats et son sablé à la canelle), les conséquences d'une "simple" crise financière, au XVIe siècle par exemple, étaient, entre autres, la malnutrition, la stérilité, des enfants morts sur le bord des routes, et même des actes de cannibalisme. Pensons aux récits terrifiants qui mettent en scène des mères faisant sans remords des hachis et des rôtis de leur descendance, lors des sièges des Guerres de religion. Une fois mangés les derniers rats, le gazon, les chevaux et le cuir des vêtements, il fallait bien trouver d'ingénieux expédients. Lorsque le blé manquait, qu'on ne pouvait pas faire de pain, et que la seule chose que l'on mangeait, c'était du pain... que faire? On trouva plusieurs solutions, comme préparer du pain avec de la farine de fougères, ou avec des os soigneusement broyés. De toute façon, toutes deux sont mortelles.
C'est là qu'Etoile Clio s'arrêta, fatiguée elle-même par le caractère rébarbatif de son exposé, et parce que les desserts se pointaient. Ce n'est pas tous les jours qu'on fête son enterrement de vie de jeune fille, et ce n'est pas la crise qui nous empêchera ce soir (n'est-ce pas O., n'est-ce pas L., n'est-ce pas M.!) de profiter du dernier repas avant le régime dra(ma)stique-pour-rentrer-dans-sa-robe-oh-mon-Dieu-c'est-bientôt, et, en fait de crise, d'avoir une crise de foie.
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