vendredi 9 janvier 2009

Des rois pour la galette!

Aujourd’hui, mettons à l’honneur, plutôt que la galette, les rois. Non pas « les » rois, ceux que nous connaissons tous pour avoir suivi la fameuse étoile, mais les autres rois, qui ont peut-être moins frappé notre imaginaire avide de riches étoffes, de myrrhe, d’encens et de sagesse orientale, mais qui ont plus trivialement construit la France, et conséquemment notre société.


Avec ses multiples origines et ses tout aussi multiples formes, la galette est le clou du « jour des Rois »… depuis le XVIIIe siècle, c’est-à-dire assez récemment. Ses origines remontent à loin, en revanche, empruntant au rite païen des Saturnales dans la Rome antique, aux coutumes religieuses byzantines, et enfin à la définition de l’Épiphanie chez les Chrétiens. Mais, en France, la galette était depuis longtemps l’apanage des rois avant d’être celui du petit Jésus. Le vassal l’offrait au seigneur du domaine en même temps que l’impôt, pour rappeler que le moulin à blé appartenait au suzerain ; la nouvelle accouchée en faisait porter une au château dudit seigneur ; les représentants d’une ville la présentaient au roi qui venait en visite… Bref, ce gâteau rond en pâte feuilletée en ou brioche, symbole à la fois de respect et de réjouissance, était profondément ancré dans les usages français.

Il y avait d’ailleurs, en ces temps royaux, une confusion habilement entretenue sur ces Rois que l’on « tirait » : en témoigne une anecdote rapportée par Jean Héroard, médecin particulier du futur Louis XIII et qui a suivi minutieusement dans son journal l’évolution physique et psychologique du futur roi, notant avec une tendresse certaine jusqu’au moindre babillage. Le dauphin Louis a huit ans. Le jour de l’Épiphanie, on lui fait tirer les rois, et – ô surprise – il a la fève. On veut donc faire roi ce petit garçon, mais Louis refuse énergiquement…
Il dit « Je ne veux pas être le Roi ! » Sa nourrice lui demande pourquoi. « Je ne veux pas l’être ! » Il appelle M. de Ventelet [son maître d’hôtel] et lui dit tout bas à l’oreille : « N’y faites point mettre de fève, afin qu’il n’y ait point de Roi. – « Monsieur, lui dit sa nourrice, si Dieu est Roi, il faudra que vous teniez sa place. » - « Je ne veux pas, moi ! » - « Comment, Monsieur, dit un chacun, refusez-vous à tenir la place de Dieu ? » Il s’arrête avec crainte : « Hé ! C’est à papa ! » - « Monsieur, il faut que ce soit vous qui la teniez ici ! » - « Hé ! je veux bien ! »

Héroard ne fait de commentaires sur cette petite scène, mais nul doute qu’il aura été frappé par l’intuition de son jeune patient, qui semble avoir parfaitement compris qu’on attend de lui bien plus que jouer au roi, et recule un moment devant ce lourd fardeau, avant de se plier à la volonté de ses futurs sujets. Ici, point de rois mages ou d’étoile du Berger. Les seuls rois dont on parle sont le roi de France pour le royaume terrestre… et Dieu pour le royaume céleste.


Même les amusements sont graves, pour la vie d’un dauphin. En contrepartie, pour un roi déjà sur le trône, le jour des Rois est prétexte à une fête joyeuse, légère, qui permet au souverain de déposer quelques instants le poids de ses soucis. Le Mercure galant de janvier 1684 rapporte une Éphiphanie de tous les diables ! Louis XIV avait décidé cette année-là de célébrer le jour des Rois avec tous ses courtisans. Dans la grande salle, cinq tables sont dressées – avec tout le faste qu’on sait : c’était avant l’assombrissement dévot de la cour et l’influence supposée de Mme de Maintenon – et cinq galettes apportées. À chaque table, il y eut donc un roi et une reine, et un jeu s’installa, qui mit en joie toute la cour : les tables devinrent autant de royaumes, les souverains élus par la fève nommèrent des ministres, des officiers, des ambassadeurs, lesquels étaient envoyés aux tables voisines pour déclarer la guerre ou proposer une alliance. Les règles de la politique extérieure furent singées avec tant de grâce, de gaieté et de folie que le Roi-Soleil, qui n’avait pas été désigné par le sort, tout content de ne pas régner pendant quelques heures et de recevoir des ordres au lieu d’en donner, déclara vouloir recommencer l’année suivante.

La fête des Rois servit également à des édits bien peu religieux : au début du XVIIIe siècle, une guerre de la galette opposa boulangers et pâtissiers, conflit qui fut réglé par une série de mesures opérant la distinction entre les deux professions. Et sous la Révolution, dans la tendance impérieuse qui rebaptisait tout ce qui pouvait rappeler de près ou de loin l’Ancien Régime honni, la fête des Rois devient fête des Sans-culottes, ou, mieux encore, fête du bon voisinage ! Il est à peine besoin de dire que les révolutionnaires de la Terreur avaient voulu supprimer tout bonnement la fête, mais c’était chose impossible tant la galette faisait partie du mode de vie. Les rois avaient disparu, mais non la coutume, plus tenace que tous les gouvernements. Il a bien fallu, après coups, redonner du sens à la fête, et, le retour au religieux aidant, on convia à nouveau les Rois Gaspard, Melchior et Balthazar…

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